Ireps Guadeloupe - Instance régionale d'éducation et de promotion de la santé
Fondée sur une approche globale de la santé, Promotion Santé Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy travaille en étroite relation avec les associations de prévention du territoire de la Guadeloupe et des îles du Nord.

Interview de Mme Marie-France Tirolien (Présidente de la CSA)

21/01/2022

La CSA est le lieu pour faire des propositions pour améliorer le système de santé

Présentez-vous-en quelques mots...

Je suis une femme engagée depuis 24 ans "au combat pour la santé", depuis la naissance de mon fils né drépanocytaire SS.

Quand on a un enfant drépanocytaire on a l'impression que "le monde s'écroule", je n'avais jamais imaginé que je pouvais avoir un enfant malade, ayant eue auparavant un enfant en bonne santé... J'ai cherché à comprendre ce qu'était cette pathologie que je ne connaissais pas et que j'ai transmis à mon enfant... Soit je subissait soit "je partais au combat"... Je suis donc repartie au combat comme d'autres parents... 

Cela m'a entraîné dans l'association Guadeloupe Espoir Drépanocytose (GED) dont je suis devenue la Présidente en 2009 et où j'ai pu avoir pléthore d'activités dont l'organisation de la 1ère Journée mondiale de lutte contre la drépanocytose et pu plaider la cause des malades devant l'assemblée des Nations Unies (à New-York). Tout en exerçant comme travailleuse sociale et comme directrice l'Association guadeloupéenne pour le logement social (AGLS) durant 16 ans. 

Entretemps, comme membre de France Assos Santé, je suis devenue membre du collège des représentants des usagers de service de santé ou médico-sociaux où j’ai découvert la démocratie sanitaire pendant 4 ans, Par la suite, ayant terminé avec mon engagement à l’AGLS, étant plus libre, en quête d’autres défis je me suis présentée à l’élection de la présidence, car j’étais pleins d'enthousiasme et d’idées à faire partager c’est ainsi que j’ai été élue le 28 octobre 2021. 


Qu'est-ce que la CSA ? Quel est son rôle ?

La CRSA, Conférence Régionale de la santé et de l’autonomie (ou CSA car outre la Guadeloupe, elle recoupe Saint-Martin et Saint-Barthélemy qui ne sont pas des régions) est une assemblée consultative comprenant les principaux acteurs du système de santé des territoires, qui concourt par ses avis à la politique territoriale de la santé mise en œuvre par l’ARS et donne notamment un avis sur le Projet Régional de Santé (PRS). Elle organise en son sein l'expression des représentants des usagers du système de santé et organise le débat public sur les questions de santé de son choix.

Elle se compose de quatre commissions spécialisées auxquelles chaque adhérent peut participer :

  • prévention, (président Mr LEGBA Raoul),
  • organisatin et offre de soins, (président Mr BRAVO Alain),
  • prises en charge et accompagnements médico-sociaux (Mme SAINT-CLAIR Emmanuella),
  • droits des usagers du système de santé (présidente LIN Odile)

Pour ma part, je participe aux commission Prévention et Droits des usagers car cela correspond à mon parcours et mon sujet : la prévention car il s’agit de prévenir les pathologies et problématiques de santé et usagers du système de santé car de part ma présidence de GED j’ai besoin d’être proche des usagers…

La CSA sert d’interface entre les usagers représentés par des personnes issues de la société civile, les institutionnels et les politiques car la santé « c’est l’affaire de tous » soignants comme des soignés. On est là pour faire remonter les grandes problématiques de santé...


Que pensez-vous du climat de crise de confiance vis-à-vis du système sanitaire ?

On entend de plus en plus de critiques envers le système de santé et en direction professionnels de santé. En particulier le Centre Hospitalier Universitaire (CHU), dont les urgences en particulier.

Ce qui est inquiétant est qu'on assiste au départ de médecins spécialiste qui quittent la Guadeloupe alors même qu'on a de grosses pathologies (diabète, cardiaques, drépanocytaires…) à prendre en charge. 

Mon premier combat comme présidente de la CSA va être le CHU. Ce qui est prégnant dans la situation de l’hôpital, c’est peut-être un manque de personnel, mais au regard des autres urgences des hôpitaux dans l’Hexagone nous avons de nombreux témoignages concernant des expériences malheureuses, des pertes de chance… Or, on ne peut pas rester là à ne rien dire, ne rien faire, car tout un chacun est concerné, demain ça pourrait être l’un d’entre nous et alors on ne pourra rien faire... 

Le Covid-19 ajoute une problématique supplémentaire, à une problématique de santé qui préexistait auparavant. 

L’hôpital peut-il encore fonctionner ?

En effet, on constate:

  • un manque de personnels, 
  • insalubrité
  • un manque de moyens, 

A l'instar des échanges transfusionnels pour les drépanocytaires, et de l’absence de kits pour les machines érythraphérèses. En Guadeloupe on effectue les échanges transfusionnels à la seringue. La cause est que le CHU n’a plus les moyens pour acheter des kits. Nous sommes les seuls à procéder ainsi, ce qui est une catastrophe pour l’asepsie, de plus la transfusion manuelle entraîne une surcharge en fer qui est néfaste pour le patient. Dans quelques années cette surcharge en fer va atteindre les organes qui sont vitaux. Nous sommes en train de soigner la pathologie avec des moyens qui créeront d’autres soucis dans quelques années…

Quid du caractère archipélagique de notre pays ? Les malades de Saint-Martin, Saint-Barthélemy arrivent par hélicoptère… Idem pour la réanimation pédiatrique qui est en Martinique ? Que faire en cas de problème (panne) avec l’hélicoptère ?

Ce sont ces questionnements sur le fonctionnement du CHU qui m’amèneront à rencontrer les acteurs, les soignants, à rencontrer le directeur du CHU, car il s’agit comme présidente de la CSA et des autres présidents de comprendre l’existant, savoir comment les choses fonctionnent de l’intérieur… Les coefficient géographiques appliqués aux tarifs nationaux de prestations des établissements dans des régions dont le niveau de coûts est plus élevé en raison d’un environnement spécifique, sont-ils suffisants pour contenir l’intégralité des dépenses des établissements de santé ?

C’est peut-être aussi pour toutes ces raisons qu'on peut supposer que la population n'a pas confiance dans son système de santé et refuse de se vacciner...

A cet égard la question de la communication est posée avec le nombre de contamination, les taux d’incidences et de décès qui effraye les personnes… De même les images véhiculées par les médias (en août 2021) comme les personnes alitées, les cercueils sont de nature à générer la peur... 

Avec l'ARN messager... « On a amené ce vaccin comme un cheveu sur la soupe ». Je me suis rendu compte qu’on avait eu un problème de communication depuis le départ. Quand on discute avec les autres personnes on se rend compte du travail de sape des réseaux sociaux qui n’a pas été contrebalancé aux moments opportuns. En effet, à la différence de la population de l’Hexagone, en Guadeloupe, nous avons une tradition orale, on a besoin de ce bouche à oreilles, on a besoin d’échanger, d’expliquer, on a besoin de plus de proximité… Il y a également une forte proportion de personnes âgées pour laquelle il faudrait une communication plus adéquate...

La notion du bénéfice risque est elle aussi mal comprise par la population « pourquoi j’irai me faire vacciner alors que je suis jeune et en bonne santé ». Elle ne voit pas le vaccin comme une protection mais plutôt comme le fait de se rajouter une pathologie… Il y a un travail important à faire pour regagner la confiance de la population, c'est ce à quoi va s'atteler la CSA.


Pouvez-vous nous en dire plus sur le dispositif d’écoute, de dialogue et d’accompagnement des professionnels mis en place par la CSA ?

Concernant ce dispositif unique en France, la CSA a joué un rôle de médiation et d'écoute des personnels soignant non vaccinés qui ne voulaient pas entendre parler de la vaccination telle que promue par l’ARS. C'est une plateforme d'écoute et de parole. Ce n'est pas du tout une plateforme où les gens seront influencés ni jugés. Elle consistait en la réception des personnes non vaccinées et suspendues inscrites dans le cadre d'un dispositif constitué d'un médecin, d'un psychologue et d'un autre professionnel du médico-social...,

Lors de cet entretien, le rôle du médecin consistait à apporter des informations sur le vaccin à base d'ARN et avec l'aide du psychologue de comprendre de quoi ces personnes avaient peur, qu’est ce qui faisait peur, comment étaient-elles arrivées dans cette situation…

Cette action s'est terminée le 31 décembre 2021.

Personnellement, j’ai participé à un seul atelier avec l'équipe de médiateur pour recevoir 5 femmes que j'ai suivie jusqu'au bout afin de tenter de répondre à leurs interrogations. Cependant en dépit de toutes les explications du médecin présent lors de l’entretien, au bout des 2 heures les gens n’étaient toujours pas rassurés… Ce qu’il en ressort c’est la peur du vaccin. Ces personnes préfèrent perdre leur travail plutôt que de se faire vacciner…  

J'avoue avoir été mal à l'aise, en tant qu'intervenante du social et comme mère de famille, car j’ai un peu de mal à comprendre. Vous rendez-vous compte de la force de conviction par les temps qui courent de se retrouver au chômage, ce n’est pas rien !

Afin de lever tout quiproquo, j'ai tenu à rappeller dans les médias le rôle de la CSA, qui n'est pas de dire aux gens d’aller se faire vacciner… Il n'en reste pas moins vrai qu'on a perdu 870 personnes pour une petite population comme la Guadeloupe, ce qui n'est pas rien ! 

Malgré tout, seule 40% de la population (au moment de cet interview) est vaccinée, soit 60% de non vaccinés. Ce qui signifie que le nombre de mort n’a pas fait changer d’avis à la majorité de la population. Il faut donc se poser des questions, il faut analyser cela.

En tant que présidente de la CSA, ma première démarche sera de proposer aux autorités une nouvelle approche de la communication, en organisant des débats publics, en permettant à la population de s’exprimer et de faire remonter ses craintes... Il nous faut promouvoir des messages rassurants, positifs, il faut que la CSA agisse sur les problématiques qui touchent les gens.

Marie-France Tirolien
CSA Guadeloupe Saint-Martin, Saint-Barthélemy

Entretien recueilli par Line BALTYDE (Chargée de communication) et Bruno MOUTOUSSAMY (documentaliste)

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